Saturday 1 August 2009

Mission Possible / installation @ Centre des Arts - Enghien-les-bains

Mission Possible / Devrim Alpöge


L’idée de cette installation s’est imposée à moi à travers quelques-unes de mes préoccupations majeures : le regard négatif que les Français ont commencé à porter envers la Turquie ces dernières années, la place et l’utilisation de l’image dans les médias, le champ de représentation créé par l’outil numérique. En d’autres mots, j’ai voulu montrer aux Français une autre image de celle qu’ils ont l’habitude de voir dans les médias, beaucoup plus proche de la réalité objective grâce aux moyens techniques de la vidéo numérique.
Pour ce faire, j’ai choisi de montrer les visages des Turcs car je nourris pour cette partie du corps une fascination voire une obsession. Lieu de formation de la parole, le visage permet de communiquer avec le monde extérieur. Les mimiques participent de cet échange au niveau émotionnel.
De surcroit, les mimiques et les gestes font partie de notre patrimoine culturel traditionnel. Chaque pays a ses propres codes et le langage gestuel varie de région en région. Ainsi, on ne dit pas « non » de la même façon en France qu’en Turquie : alors que les Français remuent la tête de gauche à droite, les Turcs préfèrent lever la tête et les sourcils vers le ciel avec un petit bruit de langue.
L’image projetée d’un visage joue le rôle d’un miroir et nous ramène inévitablement vers la psychanalyse et aux phénomènes de représentation du moi, du désir et de l’autre. Aussi, les visiteurs seront-ils peut-être confrontés à une sorte de miroir lacanien dans lequel ils essaieront d’identifier leur rapport à « l’Autre ».
En réalisant le casting pour le tournage, j’ai voulu constituer un échantillon représentatif des Turcs. En effet, les personnes qui sont réunies sur les vidéos sont à peu près à l’image de cette population jeune, multiethnique et multi religieuse. Ce sont de véritables « têtes de Turc » ! Mais le jeu de mot n’est pas de trop ici tant on a l’impression que les hommes politiques français ont tendance à confondre l’expression et le peuple auquel il fait référence.
Pour ces visages enfouis dans le noir, éclairés par la gauche comme dans la peinture occidentale classique, je me suis inspiré de certaines vidéos de Bill Viola comme Anima, Dolorosa, The Quintet of the Astonished (2000). Ce vidéaste américain m’a en effet beaucoup influencé dans sa façon d’appréhender la forme (utilisation du format vertical) et de concevoir ses vidéos expérimentales (présence d’un schéma quasi narratif).
Préparer l’installation sous forme de jeu vidéo présentait l’avantage d’être pédagogique. J’avais envie de lutter contre les préjugés sur les Turcs en proposant des informations intéressantes aux visiteurs. Le jeu m’a permis de le faire d’une façon ludique.
Aujourd’hui, les outils numériques permettent d‘accéder à des truquages beaucoup plus facilement et de fusionner des éléments de source variée. Ainsi, grâce à des logiciels multimédia, il a d’abord été possible de rassembler les huit personnages dans une même séquence. Ensuite il a fallu créer, selon des règles préétablies, les actions et les enchainements du jeu, prévoir l’affichage des textes, inclure les moyens d’interaction pour le visiteur. L’étape suivante a nécessité une création graphique concernant l’harmonie des couleurs et des polices de caractère. Finalement, les images vidéo ont été incrustées dans le corps du jeu pour former un produit de synthèse.
Dans cette installation, j’ai également introduis une dimension politique exposée à travers une métaphore reposant sur la difficulté disproportionnée à atteindre un but : la longue marche des Turcs vers l’Union européenne. Ces derniers se voient opposer chaque jour de nouvelles règles, de nouveaux critères qui paraissent comme autant d’obstacles qui retardent l’adhésion de leur pays. Face aux tergiversations des pays comme la France qui remettent en cause un ancrage pourtant confirmé par des traités, les Turcs concluent donc à un rejet antimusulman.



Notice
Il s’agit d’une installation vidéo interactive ludique et éducative. L’installation se présente sous la forme d’une borne avec un écran muni d’une console qui permet au visiteur d’interagir avec la vidéo. Sur l’écran, le spectateur voit en gros plan les visages de huit personnes avec une expression figée et neutre. Dès lors, il démarre le jeu et doit répondre à des questions plus ou moins faciles sur la Turquie par Vrai ou par Faux. Selon l’exactitude des réponses, les visages réagissent : ils expriment la colère en cas d’accumulation de mauvaises réponses et la joie dans le cas contraire. Cependant, l’accent est porté sur les mauvaises réponses et les visages tendent à réagir de façon plus virulente à celles-ci. Le jeu se termine quand les visages atteignent un certain degré d’exultation.


Credits
Conception : Devrim Alpöge
Développement Flash : EISTI (Cergy)
Comédiens : Hanife Bayar, Mahmut Demir, Nur Gürsel, Çetin İpekkaya, Gürkan Kestane, İbrahim Sayılır, Merve Şener, Havva Tekin
Conception graphique : Maria Cristina Dijulio
Remerciements : Nesim Fintz, Jacky Masson, François Cuny et Benjamin Poignant (EISTI) ; l’association Elele et sa directrice Gaye Petek, le producteur Ali İnan.